Mis en avant

Les rencontres (science) fictives du Mulet.

Isaac ASIMOV : « Si vous voulez qu’on vous lise, demandez moi d’écrire. »

Isaac : Encore un blog de science-fiction !
Le Mulet : Oui, docteur. Une envie de partager avec le plus grand nombre ce que vous nous avez tant fait aimer, de la belle, de la grande SF.
I. : Ah ! Mais, excepté son nom qui est un hommage je suppose, qu’aura t-il de plus que les autres ce site ?
Lm : Je ne sais pas. Je n’ai d’autre prétention que de propager la bonne novella (sic).
I. : J’aurais dû me douter que vous feriez le clown.
Lm : Pour convaincre, la vérité ne peut suffire.
I. : C’est de moi ça !
Lm : S’il n’y avait que cela !
I. : Je n’aurais pas mieux dit. Mais, tout de même, vous ne visez rien d’autre qu’à faire sourire ?
Lm : Non, bien sûr. Grâce à lui, j’espère convaincre de la beauté et de la richesse d’un genre littéraire souvent méprisé.
I. : La tâche est rude. Il vous faudra user de tous vos talents de persuasion.
Lm : J’ai quelques notions en la matière, maître.
I. : L’avenir jugera.
Lm : Il commence demain…

Ulysse Cornélius_

REYNOLDS – La millième nuit

× opéra spatial – hard-science ×
× clonage – exploration spatiale – enquête – société secrète – grand dessein – fresque féérique ×
× voie lactée – univers ×
× futur indéterminé (millions d’années) ×

L’année s’achève et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle restera, au Bélial, comme un grand cru. Il suffit de consulter leur catalogue des sorties 2022 (Galaxiales, Axiomatique, Terra Ignota T4 et T5, la Vie alien, Simulacres martiens, Un an dans la Ville-Rue, etc.) pour avoir la tête dans les étoiles et le portefeuille en orbite.
Parmi ces sorties, l’une fait déjà figure de chef d’œuvre. Il s’agit de la novella La Millième Nuit du Britannique Alastair REYNOLDS. Parue il y a déjà une quinzaine d’années outre-Manche (ndlr – en 2005), c’est au traducteur Laurent QUEYSSI que l’on doit la version française.

FAMILLE DE RÊVES

Thousandth Night nous propulse dans un futur très lointain, aux côtés de clones qui arpentent la galaxie dans d’énormes vaisseaux spatiaux et se font de temps à autre une petite réunion de famille pour se partager leurs souvenirs de vacances.
Chez les Gentiane (le nom de la lignée de nos dupliqués), les retrouvailles n’ont lieu que tous les 200 000 ans (si vous n’aimez pas tante Ginette, c’est pratique). Cependant, elles durent longtemps, mille nuits. Chacun de ses membres – comme ils sont mille, ça fait donc mille nuits (j’ai toujours eu un faible pour les maths) – présente en effet aux autres ce qu’il a collecté et au terme de ces présentations, on désigne le vainqueur.
L’objectif de ces fils partagés au cours de rêves nocturnes est l’enrichissement de la mémoire collective.
Mais au cours d’une de ces joutes songeuses – celle organisée par le vainqueur du round précédent, un dénommé Campion – tout ne se passe pas comme prévu. Un participant ment délibérément dans son récit et de fil (sic) en aiguille, une prodigieuse conjuration, appelée le Grand Œuvre, est mise au jour aboutissant à un feu d’artifices final de toute beauté.

UN PEU PLUS PRÈS DES ÉTOILES

Avec La millième nuit, REYNOLDS signe en cent pages et des poussières un magnifique patchwork scienfico-féérique à la limite du policier où se mêlent suspense, drame, exploration spatiale, transgressions sentimentales, hard-science, enquête et tant d’autres choses dans lesquelles un amoureux de science, de SF, de belle littérature tout simplement plongera aisément.
Ce qui fait néanmoins du texte un chef d’œuvre marquant, c’est l’idée de Grand Œuvre, cette conspiration à l’échelle galactique qui va venir bouleverser l’univers de nos amis dupliqués. Et bousculer les lois de l’univers que nous connaissons.
Et voilà où l’auteur gallois – astrophysicien de son état, ça aide – se détache des autres. C’est qu’en plus de nous servir un monde « crédible » et passionnant en soi, il ajoute à son récit une touche de fantaisie, de magie et d’originalité que l’on ne retrouve pas si souvent en SF.
Dans la même veine, on pourrait citer la récente Nuit du faune de Romain LUCAZEAU.
Quant au final magistral, les images qu’il laisse dans la tête résonnent avec la sublime illustration d’Aurélien POLICE que l’on ne présente plus.
Le format court de la novella est le seul bémol que nous pourrions relever. S’il contribue à maintenir le rythme dynamique que le texte adopte dès le début, il frustre néanmoins. Vu l’inventivité de l’auteur, nous aurions aimé nous mêler un peu plus de temps aux convives, rêver davantage à leurs côtés, déambuler enfin sans s’arrêter dans le monde fictif créé à l’occasion de leurs retrouvailles par le vainqueur précédent (ici Campion). Nous aurions surtout voulu en apprendre tellement plus sur leurs souvenirs, sur les civilisations et planètes visité/es.
En somme, nous aurions souhaité – et c’est assez rare pour être signalé – que la réunion de familles dure beaucoup plus longtemps.
Rendez-vous dans 200 000 ans !

Ulysse Cornélius_

BAXTER – Retour sur Titan

× hard-science – exploration spatiale – opéra planétaire ×
× trous de ver – écosystème extraterrestre – multivers – écocide – transhumanisme ×
× Titan – système solaire – univers ×

LE CHOC SUR TITAN

Embarquons donc avec BAXTER, direction le 37ème siècle. L’Humanité a colonisé une partie du système solaire grâce à des trous de ver et, avide comme elle est, cherche sans cesse à exploiter de nouveaux mondes. Titan, le plus gros des satellites de Saturne, est le prochain sur la liste. Avant toutefois de le ravager comme il se doit, il faut prouver qu’aucune vie sentiente ne s’y épanouit.
Sentiente ! Késako ? Il s’agit d’êtres/d’organismes capables de ressentir émotions et douleurs, de percevoir leur environnement. À défaut de laisser une trace impérissable dans l’histoire de la SF, le roman aura eu au moins le mérite de nous familiariser avec un nouveau concept.
Une équipe un tantinet bancale, montée par une star du cru, est donc envoyée sur place pour confirmer que rien ne gambade sur ou sous le sol gelé de notre lune saturnienne. Manque de bol pour eux et pour leurs espoirs de profits, nos joyeux drilles y découvrent… ce que personne ne souhaitait justement y trouver. Et, comme à chaque fois qu’il y a, dans l’équation, explorateurs humains et Terra incognita, ça finit mal !
BAXTER réussit en peu de pages à créer un monde alléchant (biotope crédible et original), inquiétant (transplantation des consciences/personnalités), intriguant (artefact or not artefact, multivers). La tension est maintenue constante, malgré quelques longueurs introductives (ce qui est quand même balèze en si peu de pages). La maîtrise du récit est indéniable. C’est haletant. On ne perd pas une miette de la descente périlleuse vers Titan ou des premières excursions sur le plancher des vaches (sic) de notre équipe de pieds nickelés.
Quant à la fin, improbable, elle ne manque pas de sel. Et qu’elle plaise ou non, elle a le mérite de ne pas nous laisser indifférents. Elle questionne. Et comme dirait l’autre, dans la vie comme en SF, quand ça cogite, c’est qu’on existe.
Pour autant, ça ne prend pas (ou pas totalement).

CHON CHON

Déjà parce que nos anti-héros n’emballent pas le lecteur. Ils sont caricaturaux pour ne pas dire insipides. On ne s’identifie guère.
Et même quand la mort vient cueillir l’un d’eux, ça n’émeut pas. Leur antipathie et leur inimitié apportent peu de cachet au récit. Quant à leurs décisions, que je vous laisse ou non condamner selon votre moralité, elles sont un peu vite expédiées. L’auteur sait qu’il n’a pas deux cents pages devant lui, et nous le fait sentir aussi. Dommage !
Il est cependant une chose bien plus préjudiciable encore au texte, c’est son manque de crédibilité. Scientifiquement parlant, BAXTER maîtrise pourtant son sujet. Ça cause sciences dures, biologie, physique, astrophysique et ça cause bien.
Mais, au-delà de cela, beaucoup d’évènements sonnent faux et enlèvent tout ce qui confère un peu de sérieux à l’histoire. Je veux bien être imaginatif et laisser sa chance au produit mais parfois Stef se prend pour Maurice et pousse quand même le bouchon un peu loin.
Un exemple… non finalement, je vous laisse seuls juges. Quelques indices néanmoins : océan glacé de Titan, rodéos sous-marins à dos d’espèces chelous ; tiens, le moteur que je cherchais justement, là à des centaines de kilomètres de la surface, etc. Bon, je m’arrête là, ça va vous couper l’envie de commencer.
Car, au final, ce n’est pas mauvais, mais ce n’est pas transcendant non plus. De l’auteur, il y a mieux. Dans la collection, il y a aussi nettement mieux.

Ulysse Cornélius_

GENEFORT – Cavorite

Concomitamment à la sortie de son nouveau roman, Les Temps ultramodernes, chez Albin Michel Imaginaire, Laurent GENEFORT est de passage en Bifrostie.
L’auteur du cycle d’Omale, de la trilogie Spire ou encore de Lum’en, nous gratifie d’un objet littéraire non identifié un peu décousu mais assez jouissif. Un « texte » atypique qui suit les traces de l’Abrégé de Cavorologie sorti il y a peu et qui prenait place lui aussi dans l’univers de son nouvel opus (téléchargeable gratuitement ici).
Un univers marqué par la découverte d’un matériau, le cavorium/la cavorite, dont la propriété est d’annihiler les effets de la gravité. Ce qui bouleverse la société de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, bien plus encore que la révolution industrielle ou la fée électricité n’ont pu le faire en leur temps en notre bas-monde, c’est dire !
Et c’est à ce chamboulement sans précédent que nous convie GENEFORT. Comment ? Par le biais de coupures de presse fictives qui nous donnent à voir le monde naissant avec tout ce que cela comporte de doutes, d’espoirs, de drames, de progrès, etc.
On se croirait revenu au temps béni de la presse de masse de la Belle-Epoque, si chère au regretté Dominique KALIFA.

PRESSE QUI VOLE

Les histoires se succèdent à un rythme soutenu pour notre plus grand plaisir.
Elles font intervenir tantôt des personnages célèbres pris dans le tourbillon de la révolution cavorienne (Curie ou Becquerel dans Le témoin du chaos ; Santos-Dumont dans Le tout premier vol à cavorite), tantôt de parfaits inconnus à la recherche de la gloire ou de l’exploit (Le lauréat du Lépine en route vers Mars ; Le nouveau calculateur IBM, Le tout premier vol à cavorite, etc.)
Certaines, insolites, trouveraient aisément leur place dans les pages « faits divers » du Petit Parisien ou du Petit Journal du début du siècle dernier (Le fléau du vagabondage aérien ; On a voulu voler l’Obélisque ; Encore un crime aérien, etc.).
D’autres, plus sombres, évoquent les conséquences de l’avènement du monde nouveau ou font écho à des problématiques contemporaines (l’épuisement des ressources dans Cavochromatisme ; les menaces du progrès sur la faune dans La disparition imminente des hippopotames ; la condition animale dans La corrida à Paris).
Enfin, le décalé (Un trafic particulier) côtoie les drames (Chute mortelle à Charleroi ; Sauvetage) et les sujets plus graves (agression homosexuelles dans La fête est finie).
GENEFORT sème également ici et là quelques easter egg pour historiens (les brigades de l’Aigle, Russie menchevik) et n’oublie pas même de convoquer l’art et la religion à son œuvre (dans Une rixe au nom de l’art et La cavorite devient une question papale).
Rien n’aurait donné plus envie de se pencher sur Les Temps ultramodernes que cette nouvelle savoureuse. D’autant plus si on y ajoute la très belle illustration de Philippe GADY.

Ulysse Cornélius_

GENEFORT (Laurent), Cavorite – 2022 (Bifrost numéro 105).

NAYLER – Père

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Un auteur inconnu dans nos contrées, c’est l’occasion de découvrir un univers. Même si la nouvelle, format court par excellence, s’y prête moins bien qu’un roman.
Père, publiée dans l’inénarrable Bifrost (#105), nous emmène aux Etats-Unis, à Albuquerque précisément, peu après 1945. On y suit les pérégrinations d’un jeune garçon qui a perdu son paternel dans les combats post-seconde guerre mondiale. Un conflit dont on suppute qu’elle n’a pas accouché d’un monde tout à fait identique au nôtre.
Dans cet autre monde, un programme public permet à certains orphelins chanceux (sic) de bénéficier d’un papa de substitution d’un genre un peu spécial. Ce qui bouleverse la vie de notre protagoniste tout autant que de la communauté dans laquelle il vit.

Aïe Robot !

Sans faire preuve d’originalité, ce texte est touchant. Parce qu’il aborde des sujets qui parlent à chacun de nous (l’absence de figure paternelle, l’attachement à un autre/nouveau parent, la discrimination, l’injustice, etc.).
Et parce qu’il se lit au travers du regard d’un enfant de sept ans qui peut s’interroger avec gravité sur sa situation après l’arrivée de son nouveau tuteur tout en (sur)réagissant avec naïveté à une simple querelle de gamins ou à une amitié naissante à laquelle il ne pouvait croire un instant plus tôt.
La petite touche uchronique ajoute à l’Amérique profonde des années 1950 que nous connaissons ce qu’il fallait pour qu’on accroche.
Certes, pour un texte de SF, c’est peu, mais sur vingt pages, difficile d’en donner davantage au lecteur. Reste le dénouement. Là encore, guère de surprise/s, on voit clairement les choses venir. Il est cependant amené avec intelligence. Et une fois achevée, la nouvelle reste en mémoire, questionne.

Ulysse Cornélius_

* Je suis ton père en langage binaire.

NAYLER (Ray), Father (Père) – 2021 (Bifrost numéro 105).

SIMAK – Au carrefour des étoiles

LE PARADOXE DU FERMIER

L’auteur nord-américain Clifford D. SIMAK est connu, au moins dans nos contrées, pour avoir écrit Demain les chiens. Il est pourtant l’auteur d’un autre grand roman paru initialement dans la revue Galaxy en 1963, Here gather the Stars devenu depuis Way Station.
Sa nouvelle traduction française, que l’on doit à Pierre-Paul DURASTANTI qui était venu en parler chez l’ami Lloyd (ici), vient de sortir chez J’ai Lu dans la collection Nouveaux Millénaires. L’occasion pour Le Mulet de se plonger dans ce classique du genre, récompensé par un Hugo en 1964.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, évoquons brièvement le titre français, Au carrefour des étoiles, et la nouvelle couverture.
Le premier est bien plus beau, plus poétique et nettement moins réducteur que son équivalent anglais. Quant à la seconde, que l’on doit à Alice PERONNET aka AkuMimpi, elle a le mérite de reprendre l’essentiel de ce qui faisait le charme de sa prédécesseure, tout en réussissant à illustrer davantage encore le propos de l’auteur que ne le faisait cette dernière. Jolie réussite !

VOUS E.T. ICI

Et ce propos justement, il commence par un mystère.
Le temps semble ne pas avoir de prise sur Enoch Wallace, un fermier du Wisconsin, qui crapahute dans la campagne des années 1960 avec la même ardeur qu’il arpentait les champs de bataille de la guerre de Sécession, un siècle plus tôt.
Ce qui finit par éveiller les soupçons, notamment du côté de Langley (ndlr – le siège de la CIA) qui dépêche un agent sur place pour percer les secrets de notre Ötzi wisconsinois.
Mais contrairement à lui, nous, en tant que lecteurs, nous ne restons pas longtemps dans l’ignorance. SIMAK distille, au fil des chapitres, éléments et informations qui nous permettent de reconstituer le puzzle.
On apprend ainsi qu’Enoch a abandonné sa carrière toute tracée pour se reconvertir en chef de gare d’un genre un peu particulier.
La Terre est en effet un jalon sur les routes qui parcourent la galaxie. Et la propriété de notre vétéran de Gettysburg a été choisie par les autorités régulatrices comme relais interstellaire, comme lieu de passage et/ou de repos pour les voyageurs du cosmos.
Ce qui amène Enoch à multiplier les rencontres avec des êtres tantôt sibyllins, tantôt stupéfiants, quand ils ne sont pas les deux en même temps. Çà l’amène surtout à se questionner sur les conséquences de ses actions et de ses choix, ainsi que sur sa place et celle de l’humanité dans ce grand tout.
Les humains seront-ils à la hauteur de leurs homologues E.T. ? Seront-ils dignes de rejoindre la grande famille galactique ?

RAVAGE OR NOT RAVAGE

C’est là tout l’enjeu du roman.
Car SIMAK ne nous offre pas seulement le récit d’un homme qui découvre les merveilles de l’univers. Ce qui aurait déjà été en soi d’un intérêt certain, tant l’imagination de l’auteur est fertile.
Il ne célèbre pas seulement la beauté de notre monde au travers des escapades récurrentes d’Enoch dans la nature. Il souligne la fragilité de notre planète et avec elle celle de notre civilisation, menacée par son immaturité et par son ignorance.
En faisant surtout reposer le destin de l’humanité sur les seules épaules, ou presque, d’un modeste fermier du Midwest, il nous met à l’épreuve. Il nous invite à juger nous-mêmes les agissements des Hommes. Il nous oblige, comme le fait son personnage principal, à prendre position, quitte à risquer de laisser à jamais notre monde sur le bas-côté des routes cosmiques.
Etonnamment, le contexte d’écriture (guerre froide, risque d’apocalypse nucléaire, etc.) qui aurait pu peser sur l’œuvre ne la ringardise pas. D’autant moins que de nouvelles menaces ont émergé depuis les années 1960 (effondrement écologique, crise énergétique, etc.) rendant la question de la sagesse des Hommes tout aussi brûlante qu’il y a un demi-siècle.
La structure du roman, héritage de sa publication initiale dans un pulp, contribue elle-aussi à sa modernité. Fait d’une succession de courts chapitres, il est rythmé. Les enchaînements sont rapides, l’intérêt pour la suite vif et l’ennui rare.
On pourrait relever quelques passages à vide.
Je pense au chapitre sur l’entraînement au tir dans la « cave » d’Enoch. Dispensable malgré un bestiaire E.T. qui ne manque pas de sel.
Plusieurs épisodes sonnent également un peu faux. Ainsi, la facilité avec laquelle Enoch parvient à obtenir des autorités certaines faveurs (je ne puis vous en dire davantage sans divulgâcher) paraît insensée, irréaliste. D’autant que ces mêmes autorités se contentent, dans le même temps et sans sourciller, des propos rassurants et lapidaires de notre héros sur des sujets majeurs, ayant trait à la sécurité nationale, voire planétaire.
En dehors de ces quelques accrocs, Au carrefour des étoiles est un excellent roman, d’une modernité évidente et à côté duquel je vous encourage de ne pas passer, que vous soyez ou non amateur de science-fiction.

Ulysse Cornélius_

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LUCAZEAU – La nuit du Faune

LA NUIT LA PLUS LONGUE

Évènement de la rentrée littéraire 2021 – du moins en imaginaire – La nuit du faune de Romain LUCAZEAU ne pouvait pas laisser de marbre le Mulet. D’autant moins que son premier roman, Latium, diptyque antico-robotique magistral sorti en 2016, lauréat du grand prix de l’Imaginaire l’année suivante, est devenu une référence du genre.
Cinq ans d’attente avant de pouvoir à nouveau retrouver la plume exigeante de l’auteur, c’est long, mais cela en valait la peine.
Certes, les pérégrinations cosmiques d’Astrée et de son ami velu feront sans doute moins l’unanimité que celles de Plautine et de ses amis tout aussi poilus. Toutefois, le voyage vaut le détour, malgré quelques réserves.

LÀ-HAUT !

L’histoire met aux prises Astrée, une « petite fille » recluse dans sa bulle montagnarde avec quelques copines automates, et un faune précipité par son peuple à l’assaut de cet Olympe post-apocalyptique dans une quête de savoirs et de sens.
Sans trop en dévoiler, cela commence plutôt mal pour Polémas, nom de baptême de notre envoyé en terre inconnue, qui évite de peu la « vaporisation ». Mais, à force d’insister, il réussit à convaincre la fillette de lui en montrer un peu plus. Le charme du poil sans doute !
Ensemble, ils se lancent à l’assaut des mystères et des merveilles de la galaxie et en reviennent à jamais transformés.
Conte philosophique pour grands enfants, opéra de l’espace mêlant brillamment sense of wonder et sciences, récit de voyage tout autant déluré que délirant, il est difficile de catégoriser La nuit du faune. Mais est-ce bien utile.
On prend plaisir à découvrir avec nos voyageurs spatiaux les mondes et les personnages inventés par l’auteur. Certes, on se perd un peu avec eux dans l’immensité intersidérale. On doute parfois du but de l’aventure. Mais, l’essentiel est ailleurs.
On rêve.
On attend la suite avec délectation. On se dit surtout qu’on aimerait nous-aussi faire partie du voyage et virevolter dans le vide interstellaire avec les protagonistes, quasiment à la vitesse de la lumière.
C’est costaud scientifiquement pour ne pas dire rebutant à certains endroits, malgré les efforts de l’auteur. Mais, c’est très souvent brillant. On reste en selle pendant les 250 pages du roman et la fin est à la hauteur du reste.
En ces temps troublés où le complotisme est triomphant, certains feraient mieux de se pencher sur des pages comme celles-ci où l’intelligence et la poésie transpirent plutôt que d’être scotchés sur l’écran de leur téléphone pour se noyer dans des théories vaseuses.
Le style de LUCAZEAU est certes un peu pompeux. On se demande parfois s’il n’écrit pas pour lui-même (ce qui est son droit) ou si nous ne sommes pas trop bêtes pour le comprendre. Peut-être, mais cela reste circonscrit à quelques passages, à l’image de l’introduction de Latium. Et ses références, son érudition (SF, Antiquité), sa plume sont telles qu’on lui pardonne aisément ses rares excès.
C’est beau comme un discobole en action, envoûtant comme la coupole du Panthéon de Rome.
Si la concision est une qualité littéraire, envisager une série était tout à fait possible. C’est en effet un peu court jeune homme. Mais LUCAZEAU est un homme occupé. Il est d’ailleurs à parier qu’on ne le revoie pas de si tôt dans nos librairies préférées.

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Ulysse Cornélius_

CLARKE – Rendez-vous avec Rama

E-T., ES-TU LÀ ?

LE VOYAGEUR INDIFFERENT

Arthur C. CLARKE, astronome passionné, Géo Trouvetou britannique et figure majeure de la science-fiction anglophone, est resté célèbre pour avoir coécrit avec Stanley KUBRICK 2001, l’Odyssée de l’espace. On lui doit cependant une ribambelle de romans et autres nouvelles de qualité, dont la sublime Les neuf milliards de noms de Dieu, récemment republiée dans le dossier consacré à l’auteur par Bifrost (#102). Un numéro que je ne peux que vous encourager à lire tant il est riche et passionnant.
En 1973 (1975 pour la France, traduit par Didier PEMERLE), CLARKE nous donne Rendez-vous avec Rama, un roman hard science qui a été couronné de succès et récompensé dès sa sortie par un Nebula, un Hugo et un Locus, excusez du peu ! Un récit longtemps resté sans suite, malgré sa conclusion, avant que l’auteur décide, quelques années plus tard, aux côtés de Gentry LEE, un scientifique et vulgarisateur nord-américain, d’en écrire plusieurs suites.
Le topo : un artefact extraterrestre débarque dans nos contrées au début du XXIIe siècle alors que l’Humanité a déjà fait face à plusieurs évènements célestes malheureux. Face à cette potentielle nouvelle menace, les Nations unies du futur (qui regroupent une partie du système solaire, la Terre, son satellite, Mars, Mercure et certaines lunes des géantes gazeuses, Ganymède et Titan entre autres) décident d’envoyer une mission à la rencontre de notre boite de conserve de l’espace afin de sonder ses intentions.
Sans réponses, la bande réunie passe à l’action et s’introduit à bord du navire alien à la recherche de traces de vie et d’indices pour résoudre l’énigme Rama.
Ce que vont trouver (ou pas) nos hérauts, je vous laisse le découvrir… Sachez simplement qu’ils vont devoir agir vite !

CE QUI EST SANS ÊTRE TOUT A FAIT

Et heureusement qu’ils vont devoir se hâter, parce que c’est vrai, il ne se passe pas grand-chose une bonne partie du récit. L’exploration du rafiot E-T. s’éternise, sans qu’on n’en apprenne beaucoup plus sur lui ou ses créateurs.
Toutefois, cette fausse torpeur, contrebalancée par l’urgence avec laquelle l’exploration doit être entreprise, amène les protagonistes à prendre des risques, à se lancer dans des actions hasardeuses très agréables à suivre, aussi bien sur « terre » que dans les « airs » et sur les mers de ce monde sous cloche.
De fait, on s’étonne à attendre la suite avec impatience. On espère un rebondissement à la hauteur ou une découverte qui nous laissera sans voix. On craint que le pire ne survienne pour nos lointains descendants. On vibre avec l’équipage. On en devient presque un membre à part entière. Et si rien ne se produit (ce qui arrive quand même assez souvent hélas, vous verrez), on passe aussitôt à la suite car on sait que Rama file dans le vide spatial sans s’attarder.
La contrepartie de cet empressement est que nous n’avons pas l’occasion de nous attacher beaucoup aux personnages qui manquent de relief, de consistance. On ne sait pas grand-chose d’eux. Quelques détails sont distillés ici et là par l’auteur mais on reste sur notre faim et on les oublie vite. D’autant que leurs interactions restent, elles aussi, limitées et superficielles.
Seuls les membres du Conseil scientifique chargés d’émettre des hypothèses à distance sur les origines, l’existence ou le fonctionnement de Rama, et le capitaine de l’Endeavour, à la vie dissolue, retiennent notre attention. C’est un peu court surtout que l’Alien mettant lui-aussi du temps à pointer le bout de ses antennes, il ne nous reste pas grand-chose sur lesquelles nous arrêter.
Et bien si justement. Il nous reste le cylindre oumuamuesque de CLARKE. Car, le véritable héros de l’histoire, c’est bien lui. Sans divulgâcher, le microcosme raméen nous ravit par son esthétisme épuré, par la beauté de ses paysages « naturels », par la poésie de son architecture, par les mystères qui l’entourent, etc. On aimerait tant arpenter les artères de Rama, en percer les secrets. Mais non, ce ne sera pas le cas. On finit le roman avec nos interrogations.
Mais, comme le disait le regretté Michel RAGON, « Si un instrument efficace n’est pas forcément beau, un objet d’art n’a pas besoin d’être forcément utile et compris ». Les créateurs de Rama étaient donc incontestablement des artistes !
En somme, CLARKE fait du CLARKE. Comme dans 2001, l’Odyssée de l’espace, tout est en suggestion, en supposition, en conjectures. Les silences sont assourdissants et réflexifs, les questionnements permanents. Nous confronter à l’altérité extraterrestre, même insondable, est une occasion de plus pour lui de mieux nous ramener à notre propre condition humaine, et à ses limites. Nous ne comprendrons jamais tout à fait l’univers qui nous entoure malgré notre intelligence et c’est aussi cela qui nous permet de le regarder chaque nuit avec les mêmes yeux émerveillés.

Pour les amateurs du genre : classique bon passable dispensable
Pour les profanes et débutants : classique bon passable dispensable

Ulysse Cornélius_

LIU – L’homme qui mit fin à l’histoire : un documentaire

SANG PASSÉ

C’EST MOINS QUE DE LA SF !

La collection « Une Heure-Lumière » des éditions Le Bélial compile depuis 2016 des textes de science-fiction qui ont plusieurs mérites : ils sont courts, inédits en français, de bonne facture et ils ne coûtent pas un bras. Les mauvaises langues diront que la centaine de pages à près de dix euros, ça n’est pas un si bon ratio que cela. Passons !
Dans le panier proposé, Le Mulet a porté son dévolu sur The Man who ended History : a documentary de l’américain Ken LIU.
La traduction est de qualité. Elle est signée Pierre-Paul DURASTANTI, croisé il y a peu chez l’ami Lloyd. Une ou deux coquilles sont à relever, mais elles sont sans conséquence.
Reste le mystère de l’amputation du titre original. Le mot « documentaire » a disparu en VF (voir couverture ci-dessous), excepté sur la page de grand-titre. C’est d’autant plus surprenant que la forme du texte proposé est importante à sa compréhension et à son appréciation. Peut-être l’éditeur craignait-il de faire fuir de potentiels lecteurs de l’imaginaire avec un tel mot. Passons, bis repetita !
Un mot sur l’auteur. Ken LIU n’est pas un inconnu pour qui s’intéresse un peu à la SF. Ses romans et nouvelles, notamment La ménagerie de papier ou Jardins de poussières, ont investi depuis plusieurs années les rayons des meilleures librairies et accumulent les récompenses. Il est également le traducteur de CIXIN et de son fabuleux Problème à trois corps. Il est l’auteur le plus publié dans la collection susnommée avec trois titres déjà parus, dont le dernier, Toutes les saveurs, sorti récemment (ndlr – mai 2021).
Le texte qui nous occupe, L’homme qui mit fin à l’histoire : un documentaire, compte une centaine de pages. Il date de 2011, mais n’est arrivé dans nos contrées qu’en 2016. Sa couverture française est signée Aurélien POLICE que tout le monde connaît maintenant depuis le succès du mook Dune et les rééditions récentes des romans de cet univers. Ça plaît à beaucoup, à moi un peu moins. Passons, ter repetita !
Quid de l’histoire. Simple à souhait : deux scientifiques ont trouvé le moyen de se rendre dans le passé. Leur objectif : éviter que le temps fasse son œuvre et condamne à l’oubli les atrocités commises par certains en faisant voir/vivre aux gens du présent ce que leurs aïeux ont subi afin qu’ils puissent ensuite en témoigner.
Nos savants, pour l’un sino-américain, pour l’autre nippo-américain, décident de s’attaquer d’abord au tumultueux passé entre le Japon et la Chine. Avec en ligne de mire l’unité 731, lieu des sinistres expériences nipponnes sur des cobayes humains, chinois pour la plupart.
Le problème est qu’une fois visité, ce passé s’efface pour toujours, et pour tout le monde. Impossible dès lors d’y remettre les pieds (enfin l’esprit, enfin…, vous verrez).
Rien à dire, ça sent bon la SF, c’est sans aucun doute de la SF, de la « hard » même si on prend en compte le début de la nouvelle qui vise à donner un crédit scientifique à l’expérience menée. Toutefois, nous nous éloignons bien vite de la pure science-fiction.
Mais qui s’en plaindra, tant la suite est éblouissante de justesse et d’intelligence.

AU PAYS DU SOLEIL COUCHANT

Car, non seulement, nous suivons avec intérêt la genèse et le développement du projet Wei, mais nous partageons aussi les doutes du professeur tout autant que de l’homme.
Quant aux questions soulevées par son entreprise et les conséquences de cette dernière sur le présent, elles sont innombrables : qui envoyer pour observer les faits passés, sous quel/s pavillon/s les faire partir ; de quelle/s juridiction/s relèvent les territoires passés arpentés ; raviver de vieilles plaies ne risque-t-il pas d’envenimer des relations diplomatiques déjà tendues de par le monde ; comment se réapproprier et juger des faits longtemps ignorés ou niés sans jeter l’opprobre sur les descendants des bourreaux d’hier ; doit-on légiférer pour protéger les souvenirs amenés à s’effacer en cas de visite, voire tout interdire avant que cela ne tourne au vinaigre, etc.
C’est brillant et passionnant. Au point qu’on ne peut que conseiller à tout bon étudiant en histoire d’y jeter un œil avisé (questionnements sur les sources, sur le négationnisme, sur les approches individualiste/globale du fait historique, etc.) !
En tant que lecteur lambda, on se plonge d’autant plus aisément dans la narration que nous la suivons comme si l’on visionnait un documentaire. C’est un peu déroutant au début puisque, comme évoqué plus haut, le titrage ne nous a pas renseigné sur la forme du texte. Néanmoins, une fois cette dernière appréhendée, on est pris dans le tourbillon de l’h(H)istoire au même titre que les protagonistes. Le rythme est intense (en même temps, en cent pages, pas de temps à perdre !) avec une succession de récits, d’interviews ou de témoignages poignants qui servent à faire progresser l’intrigue et à la contextualiser. Les horreurs commises en Mandchourie occupée au mitan du siècle dernier nous sautent au visage et restent dans la tête longtemps après avoir tourné la dernière page de la nouvelle.
On navigue entre le passé et le présent aux côtés de ceux qui sont happés par les évènements. Il est impossible de rester simple spectateur des faits, à l’image des hommes et nations soudain confrontés à l’impensable. Surtout que LIU a eu la bonne idée de saupoudrer le tout de vrais-faux micros-trottoirs partisans qui nous poussent à nous positionner.
Avoir associé un homme et une femme aux origines chinoise et japonaise au sein de ce couple de savants-fous est également une idée remarquable. Leur histoire personnelle, faite d’espoirs, de dissimulations, jusqu’au dénouement tragique fait parfaitement écho à l’histoire plus générale.
Que reprocher au texte ?
Un peu trop de bons sentiments, c’est vrai. Cela dit, avec un tel sujet, difficile de faire autrement.
Une entrée en matière, à base de quantique, assez peu convaincante. Elle sert surtout à affirmer que c’est bien de la SF mais elle ne convainc guère. On regretterait presque ces quelques pages perdues en verbiage quand on a achevé le livre.
Le côté un peu brouillon lié à la forme « documentaire » voulue. Mais, rien de rédhibitoire.
Peut-être enfin un peu moins de concision dans les récits des atrocités perpétrées par les médecins nippons entre 1932 et 1945 aurait permis d’étoffer un peu le propos (mais là encore, difficile de faire plus avec moins).
Au final, Ken LIU nous offre une petite perle qui n’a pas (encore) été reconnue et récompensée à sa juste valeur.

À celui qui ne jure que par la hard SF : C. CLARKE et EGAN peuvent bien attendre un peu, non ? Accorde-toi un après-midi, ça en vaut la peine.
À celui qui pense que Denfert-Rochereau, Bolivar ou Marcel Sembat ne sont que des stations de métro : il est temps de te pencher un peu sur la science historique.
À celui qui a trouvé cette chronique inutile : regarde la photographie de famille derrière toi, celle avec ton frère et ta sœur, on dirait que tu t’effaces, non ?


Ulysse Cornélius_

RUSSO – La nef des fous / Ship of fools

SANS CONTACT

Prenez un vaisseau spatial, placez à son bord des centaines d’humains coupés de leurs origines, laissez l’ensemble vadrouiller dans l’espace plusieurs centaines d’années, et confrontez le tout à des évènements extra-ordinaires, vous aurez la recette que nous a concoctée Richard Paul RUSSO avec sa Nef des fous.
Une recette simple, savoureuse, primée dès l’année de sa sortie (prix Philip K. Dick 2001), mais qui laisse hélas in fine un goût amer.


L’ANGLAIS N’EST QUE DU FRANÇAIS MAL PRONONCE


Précisons d’emblée que je privilégierai, une fois n’est pas coutume, le titre anglais du roman, Ship of fools, à son équivalent français, la Nef des fous. Il ne s’agit pas de remettre en cause le travail du regretté Patrick DUSOULIER, bien au contraire. Le fait qu’il ait opté pour la nef plutôt que le vaisseau pour traduire ship s’avère même particulièrement judicieux au regard des questions métaphysiques qui jalonnent le récit.
C’est plutôt le choix du mot fou pour retranscrire fool qui m’amène à conserver la version originale, moins réductrice. Certes, en français, le fou est tout autant celui qui a perdu la raison que celui qui ne fait guère preuve de sagesse. L’utiliser est donc tout à fait juste et adéquat. Néanmoins, l’autre traduction possible de fool – à savoir, imbécile, sot, idiot – manque au titre VF qui résonne moins et a tendance, ainsi amputé d’une partie de son sens initial, à biaiser notre approche de l’histoire.
Il fallait trancher, l’éditeur l’a fait.
Pour moi, ce sera un Ship of fools, une nef à la dérive, peuplée de fous tout autant que d’imbéciles.
Une fois dit cela, embarquons !


PANIC ROOM


C’est aux côtés de Bartolomeo Aguilera, le second du capitaine, que nous partons à l’abordage de l’Argonos, un rafiot dont plus personne ne connaît les origines, ni les raisons pour lesquelles il vogue dans l’espace depuis si longtemps.
La quête d’une hypothétique terre promise semble encore animer un peu les esprits. Mais, même de cela, l’équipage doute.
Et il s’en faut de peu, à de nombreuses reprises, pour que l’édifice entier s’écroule. Révoltes et intrigues y sont légions, notamment à l’encontre des nantis des ponts supérieurs ou du capitaine du vaisseau en personne, en qui seul Aguilera semble croire encore.
Cette routine aurait pu se prolonger jusqu’à la nuit des temps.
C’était sans compter sur la réception d’un signal en provenance d’une planète (rapidement baptisée Antioche par l’évêque du groupe) qui va bouleverser le destin de l’Argonos et de ses occupants.
Non pas tant pour ce qu’ils vont y trouver– je vous laisse la surprise – que par les questions que leur découverte soulève. D’autant qu’une fois quittés ce caillou paumé, l’apparition d’un étrange artefact alien non loin de leur position confirme qu’ils sont bel et bien entrés dans une autre dimension (sic).
S’en suit une exploration méticuleuse du bâtiment E.T. qui va modifier à jamais le cours de leur existence.


DESTINATION FINALE


J’entends déjà certaines critiques s’élever et reprocher à l’auteur son manque d’originalité. Il est vrai que des histoires de vaisseaux spatiaux, errant sans véritable but et confrontés à une civilisation inconnue ou abordant une planète exotique, ça sent le réchauffé !
Toutefois, RUSSO parvient avec son Ship of fools, si ce n’est à surprendre, du moins à capter notre attention et à maintenir un suspense haletant tout au long des cinq cents pages du roman.
Par son style déjà, l’écriture est fluide, sans temps morts. Les courts chapitres qui se succèdent donnent du rythme. On a l’impression de faire partie intégrante des équipes d’exploration et de passer comme elles, sans filet, de pièces en pièces. On s’attend toujours au pire. On en vient à le redouter à la prochaine page.
Une impression renforcée par le point de vue narratif adopté, celui d’Aguilera. On se retrouve de fait plongé, à ses côtés et aux côtés de ses compagnons d’infortune, au cœur de l’action. On partage ses doutes et ses interrogations. On le suit dans cette fuite en avant interminable. On aimerait lui poser une main sur l’épaule et lui dire de s’arrêter une seconde, de réfléchir un peu car on sent que tout cela va mal finir.
À cela s’ajoute l’atmosphère de huis clos qui plane constamment, aussi bien sur l’Argonos (même quand les acteurs y arpentent des ersatz de grands espaces « naturels » où l’impression de suffocation persiste), que sur la planète Antioche, ou sur le sinistre bâtiment extraterrestre. L’angoisse est partout présente.
Les personnages, également, ne manquent pas de sel, entre un Aguilera cabossé et à qui la vie n’a fait aucun cadeau, un capitaine alcoolique notoire, un nain rebelle, un évêque comploteur et fort peu orthodoxe, une ecclésiastique énigmatique à souhait, la galerie vaut le détour.
Reste qu’on termine le roman avec un sentiment d’inachevé.
On en espérait un peu plus sur les E.T. et leur pétrolette de l’espace, sur ce que réserve l’avenir aux uns et aux autres une fois la déflagration passée.
On se remémore certains passages, et on se demande en quoi ils pouvaient bien servir l’intrigue. Certains des protagonistes sont un peu trop obscurs, d’autres insignifiants (alors pourquoi leur avoir fait jouer un rôle ?).
Une fois le roman achevé, on reste un peu coi avec nos questions, et personne (pas même un tome 2) pour y répondre.
En somme, c’est du bon à défaut d’être du très bon.


À celui qui hésite : l’univers sombre et froid, un vaisseau qui sent le cambouis, un autre qui fout les jetons, des types et des nanas paumé.es, une exoplanète glauquissime, du suspense à la Hitchcock, un peu de métaphysique, t’as quand même pas mal d’ingrédients pour te faire un bon petit plat !
À celui qui trouve cette chronique inutile (et il a raison) : n’oublie pas que dans l’espace, personne ne t’entendra crier.


Ulysse Cornélius_

VANCE – Un monde d’Azur

PÊCHE EN EAUX TROUBLES

Quiconque a déjà parcouru quelques parsecs en compagnie du Mulet sait à quel point celui-ci porte aux nues Jack VANCE depuis qu’il a arpenté avec lui les terres et les mers de Tschaï au cours d’une année pas comme les autres.
C’est donc avec enthousiasme qu’il s’est précipité à la découverte de ce nouveau monde vancéen, un monde où le bleu est roi sans l’être tout à fait, puisqu’il est azur.


ÎLES DE BEAUTE


Azur comme le bleu du ciel. Azur comme le bleu de la mer.
Car oui, vous venez de débarquer sur une planète où l’eau est reine, la terre ferme absente. Les seuls refuges qui existent sont des chapelets d’îlots sur lesquels des colons d’outre-espace se sont implantés. Progressivement, ils y ont fondé des sociétés agraires où les individus sont différenciés selon leur caste professionnelle et leur génération. Une survivance de leur passé terrien dont ils n’ont conservé que des bribes, regroupées dans un corpus de textes tout autant vénéré que sujet à caution et à interprétation(1).
Tout pourrait néanmoins aller pour le mieux dans le meilleur des mondes si des créatures marines du nom de kragen – des sortes de poulpes géants et voraces – ne peuplaient les mers et ne venaient régulièrement semer la terreur en îles (sic) et piller les cultures d’éponges de nos valeureux pionniers.
Une situation précaire qui a poussé certains Azuréens à choisir un spécimen tentaculé plus costauds que les autres, à l’engraisser toujours davantage pour qu’il continue de l’être et à le faire roi-protecteur contre les plus petits de son espèce.
Une fausse-bonne idée qui, si elle a un temps protégé nos amis insulaires des pillages et des destructions, a surtout mis à l’abri une ou deux castes, chargées des relations avec le grand Chef, chargées surtout de tout faire pour continuer de ne rien faire (enfin surtout de ne pas participer aux tâches collectives) !
Mais voilà que l’un d’entre-eux du nom de Sklar Hast, après avoir fait l’analyse coût-avantage, se dit qu’il est peut-être temps d’envoyer valser l’ordre établi. Car si le roi est bien gentil à ne se gaver que d’éponges, son appétit est gargantuesque et ses sous-fifres humains un peu trop fainéants. Quant à la protection qu’il accorde en échange à la communauté contre ses congénères, elle n’est peut-être pas si salutaire que cela.
Allez, un poulpe, un bocal scellé, on verra bien qui rira le dernier !


PETIT TRAITE DE SCIENCES POLITIQUES


L’histoire narrée par VANCE, sans être originale, ne manque pas de sel (sic), à l’image des interactions sociales ou des intrigues politiques décrites, convenues mais non moins passionnantes. Le tout nimbé d’une sauce SF délicate à souhait : un vaisseau spatial et des voyageurs de l’espace dont on ignore presque tout, un écosystème exoplanétaire baroque, etc.
L’irruption des calmars géants dans ce tableau, la lutte qui s’instaure entre eux, et notamment le plus puissant – opportunément désigné « roi » – et les colons permet à l’auteur une analogie évidente avec l’histoire de la révolution américaine. Il est vrai que la pression exercée par un potentat sur un archipel de colonies isolées aux coutumes authentiques tout autant que surannées (il n’est qu’à voir comment ils « essayent » leurs femmes pardi !), et le tiraillement des habitants quant à l’attitude à adopter face à la puissance protectrice n’est pas sans rappeler la lutte des Insurgents nord-américains contre le roi George III.
Cela dit, avec les références qui sont les nôtres, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un épisode tragique de l’histoire de France quand dans le roman, la convention inter-îlots (appelée Convocation) dégénère et que l’un des gens de Bien comme dirait GUILLEMIN s’empare du pouvoir pour mettre en place un régime autoritaire avec milice, idéologie et tout, et tout. Cet évènement, c’est évidemment la prise de pouvoir par Pétain au Grand Casino de Vichy, le 10 juillet 1940, au cours d’une séance restée célèbre pour l’intimidation que firent subir Laval et ses hommes de main aux parlementaires réunis en Assemblée nationale.
De fait, voilà où le roman de Jack VANCE frappe fort, malgré quelques poncifs (place de la femme, facilités de narration, raccourcis, etc.), c’est par son intemporalité et l’universalité de son message. Les tyrans, c’est pas bien, c’est épaulé par des sbires qui ont tout intérêt à le maintenir en place, mais ça se renverse par la volonté d’un peuple acculé, même hésitant, même démuni de tout ou presque.
Je ne vous dis pas si les Azuréens ont réussi ou non leur entreprise de tabula rasa, pas plus que je ne nous révèlerai comment ils sont parvenus à se doter de ressources absentes de leur planète et pourtant indispensables sur le chemin du progrès. Sachez néanmoins que pour arriver à leurs fins, ils ont sué sang et eau, c’est le cas de le dire (comprendre vous pourrez, le roman une fois terminé).

Ulysse Cornélius_

A celui qui hésite : on peut réellement hésiter à lire un VANCE ?
A celui qui a du sang bleu : tu as le choix entre la marmite d’eau bouillante ou la guillotine !!!


(1) Il faut dire qu’avec le nom des castes, les Canailles, les Extorqueurs, les Malandrins ou encore les Vandales, on a quand même de sérieux doutes sur la véracité du récit des origines servi.

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